Compostelle
 
Parti, début juillet, de Voisins et en route pour Saint-Jacques- de Compostelle, je suis, ce matin du 26 août, le long du gave d’Oloron en compagnie de Pierre et Marion rencontrés au Prieuré de Cayac à Gradignan. Nous avons, ce matin, acheté à Peyrehorade notre déjeuner, dîner ainsi que les petit-déjeuner et déjeuner du lendemain car notre route est loin de tout commerce. Il est midi. Les sacs sont lourds et la chaleur déjà pesante. Nous décidons de faire notre pause de midi le long du gave d’Oloron, en bordure du pont qui enjambe le gave.
Notre déjeuner se termine quand arrive vers nous un marcheur, sac au dos. « Tiens, un pèlerin ! » pensons-nous. Mais il marche à contre-sens. Bizarre. L’homme traverse la route et vient vers nous. Son accoutrement est original et fait plus penser à un marginal. Nous nous redressons. On ne sait jamais. On voit tellement de choses de nos jours. La conversation s’engage. L’homme pense que nous allons à Colombey-les-deux églises. Un nostalgique du Général peut-être, un esprit un peu dérangé sans doute.
Puis, contre toute attente, il plonge la main dans un cabas qui, il y a fort longtemps, fut neuf et en tire une énorme grappe de raisin avec ses gros grains verts étagés en forme de pyramide, une grappe de celles que dessinent les enfants et, spontanément, il nous la propose. Nous refusons  poliment ;  c’est vrai, çà, on ne sait pas d’où elle sort, cette grappe, et puis est-elle propre ? L’homme nous quitte. Nous poursuivons notre déjeuner.
L’heure est venue de rejoindre notre gite municipal à Sordes l’Abbaye, hors chemin d’un ou deux km. En partant, nous croisons à nouveau l’homme qui s’était installé au pied du pont.
Le soir venu, je note, comme chaque jour, sur mon calepin, les évènements de la journée. Je prends subitement conscience que nous aurions pu, nous qui avions des victuailles, lui proposer quelque chose. Mais non, rien. Je fais part de mon inconfort affectif à mes amis. Ils sont contrits eux aussi. Nous nous mettons en mémoire le passage des évangiles de Marc et Luc sur « l’obole de la veuve pauvre » ; celle qui donne sur son indigence alors que les riches donnent sur leur superflu. Cela n’arrange pas notre situation. Mais il se fait tard, déjà 21h, le temps d’aller dormir du sommeil du juste, enfin … du presque juste.
6h du matin ; il fait nuit noire quand nous quittons notre gite. Nous longeons le gave pour revenir vers notre pont d’hier et poursuivre vers Viellenave-sur-Bidouze. Nos frontales sont, ce matin, indisciplinées, quittent le chemin et fouillent l’onde bruyante à la recherche d’un ragondin, d’un castor ou d’une loutre effrontée, qui sait ?
Le pont est passé. Nous nous engageons dans un chemin au milieu des champs de maïs et de plantation de kiwis, les meilleurs de France, dit-on. Le jour se lève, des brumes indécises hésitent sur le chemin à prendre. Tout au fond, une frêle silhouette se dandine. Nous le reconnaissons de suite. C’est Colombey ; c’est ainsi que, faute de mieux, nous l’appelons depuis hier soir. Mais que fait-il là, lui, à une heure si matinale ? Et quelle heureuse coïncidence ! Cette fois, nous tirons vite les enseignements de notre comportement de la veille. Un bilan est vite dressé : nous avons, comme déjeuner, chacun, une boite de salade de thon, un peu de pain et un paquet de gâteaux à partager. « Vous y tenez tant que cela, vous, au paquet de gâteau ? demandé-je à mes amis. « Non, pas plus que cela » entends-je.
Cette fois, nous sommes plus chaleureux. Nous essayons de savoir où il a dormi ; comment il vit ? Nous ne  comprenons rien mais une chose est sûre : quand nous lui proposons notre paquet de gâteau, il n’hésite pas ; il le prend. Ouf ! Nous n’aurons pas de dessert ce midi. Mais qu’importe !
Nous comprenons enfin que Colombey, ce jour-là, avait le visage du Christ, lui qui nous donnait sur son indigence.
 

Yannick Mahias