Y aller ou pas ?

Évêques en débat !

 

 

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[tab title= »Le Cardinal Barbarin »]

Cardinal Barbarin (2)

« Moi, Philippe, prêtre, je ne peux pas passer mon chemin »

Après une année de mobilisation, on entend ici ou là que le Mariage pour Tous aurait divisé les Français, et les catholiques en particulier. C’est vrai pour une part. Mais ce qui frappe aussi, ce sont les nouvelles convergences qui sont nées, parfois inattendues. Je n’oublierai pas, par exemple, le président du Conseil Régional du Culte Musulman, de Rhône-Alpes, répondant à la presse à mes côtés, le 13 janvier 2013 : « Non, il ne faut pas cette loi pour la France ! » Intérieurement, j’entendais : « Que votre oui soit oui ; que votre non soit non ! » Et je me disais : « Il sait dire non, lui, avec douceur et fermeté. »

Des dialogues ont été amorcés et approfondis, ce qui a permis de connaître et de comprendre comme jamais auparavant, la situation de personnes homosexuelles. Plusieurs d’entre elles m’ont encouragé à manifester.

Pour de nombreux chrétiens, ce fut l’occasion de mettre en œuvre la dernière consigne de Jésus : « Vous serez mes témoins. » Parmi les témoignages, j’en retiens trois : la pétition de 700 000 signataires « oubliée » par le Conseil Economique Social et Environnemental, les foules innombrables qui ont envahi les rues de Paris et les places de nos villes de Province en 2013, puis l’émergence forte, respectueuse et silencieuse des veilleurs.

Chez les « Anti-Mariage pour Tous », on observe toutefois désormais deux groupes qui s’opposent : les « Jusqu’au-boutistes », capables d’organiser une manifestation nommée « jour de colère » avec l’envie d’en découdre, et les « A-quoi-bonistes » qui considèrent que la grande bataille du mariage étant perdue, il faut passer à autre chose, comme si le vote de la loi invalidait désormais tout débat.

Il s’agit là, à mon avis, de chemins étrangers à ce que nous indique l’Evangile. Le Seigneur ne nous demande pas une obligation de résultats… Nous n’avons pas été envoyés pour gagner, mais pour témoigner car, au soir de notre vie, nous ne serons pas jugés sur nos victoires mais sur l’amour, et selon un seul critère, essentiel, celui de notre attitude vis-à-vis des plus petits.

Faut-il continuer à prier, parler, agir et à se manifester ? « Oui », et ce au nom même de l’Evangile du jugement dernier que l’on pourrait prolonger ainsi : « J’ai été privé d’un de mes parents dès ma naissance, et vous ne vous êtes pas manifestés ! »

Le changement de civilisation annoncé par Christiane Taubira se joue maintenant, spécialement dans le cadre de la Loi « Familles ». Elle ne parlera ni de GPA, ni de PMA mais on sait que, chassées par la porte officielle, ces questions rentreront par la fenêtre des amendements. On dit aussi que le gouvernement attend l’avis du Comité consultatif national d’éthique, mais on a pris soin d’écarter des voix discordantes.

Si l’accès à la PMA et la GPA est ouvert, c’est toute la filiation qui se trouvera bouleversée et désorientée. Pour la première fois, verra le jour une génération d’enfants privés intentionnellement de l’un de leurs parents. Qu’on pense simplement aux arbres généalogiques, tels qu’ils sont symbolisés jusqu’à ce jour, et tels qu’ils pourraient l’être demain : « Seules les fleurs artificielles n’ont pas besoin de racines » prévenait le philosophe.

Au fond, ces mesures consacreraient le droit de l’adulte sur le droit de l’enfant, le droit du plus fort sur celui du plus faible… déjà terriblement mis à mal par la loi sur l’avortement, qui se présentait comme une loi d’exception pour répondre à des situations de détresse, et que nous voyons dériver à vive allure depuis quelques décennies. Faudra-t-il supporter une nouvelle fois l’injustice revêtue des habits de la loi ? Chacun d’entre nous peut, aujourd’hui, reconnaître son existence comme le fruit de l’union d’un homme et d’une femme, quels qu’aient été les frasques ou les accidents de la vie de nos ancêtres, de nos parents… Qu’en sera-t-il demain ? Que dirons-nous aux enfants qui nous demanderont comment nous avons laissé faire cela ?

Heureusement, une parole traverse les siècles et les cultures, c’est celle de la conscience, inscrite dans le cœur et l’esprit des hommes. La Parole de Dieu l’éclaire et la rappelle. Il faut remercier tous les veilleurs : ils ne s’endorment pas et nous aident à rester vigilants. Pour les enfants sans naissance, sans parents, sans voix, pour les personnes sans âge, sans avenir, pour les sans-papiers, sans-pays, sans-domicile-fixe… Et pour tous les « sans » qui sont nos prochains d’aujourd’hui, la parabole du Bon Samaritain m’interpelle : moi, Philippe, prêtre, je ne peux pas « passer mon chemin » !

Le 2 février, à Lyon, ce sera le sens de ma présence à La Manif pour Tous.

Tribune du Cardinal Barbarin publiée dans La Croix du 24 janvier

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Mgr Simon

« Je n’irai pas manifester avec eux »

La prise de position de plusieurs de mes frères évêques, concernant la manifestation annoncée pour le 2 février, me vaut beaucoup de questions de la part de mes diocésains : « Irez-vous manifester vous aussi ? » Je comprends ces interrogations. Une analyse trop rapide pourrait laisser penser que les évêques qui n’iront pas manifester, ou bien manquent de courage, ou bien se font complices d’un pouvoir politique entêté dans sa lutte contre la famille. Ce n’est pas aussi simple. Et je vais essayer de m’expliquer.

Moi aussi, je suis choqué par un gouvernement qui s’obstine à ne pas entendre les avertissements de celles et ceux qui le mettent en garde contre des dérives libérales-libertaires qui ne conduisent qu’à réinstaurer la loi du plus fort au détriment des plus faibles. Je comprends que les citoyens qui ont, à plusieurs reprises, manifesté contre la loi sur le mariage – dit « pour tous » – soient amers d’avoir été méprisés à ce point par le président de la République et par le gouvernement. Je comprends que ces mêmes citoyens aient envie de continuer leur mouvement. Mais, pour autant, devons-nous y participer, comme évêques, au risque de lui donner un caractère confessionnel ?

Je respecte le choix de mes frères qui iront manifester le 2 février. Ils ont la liberté de penser et de dire que cette façon d’agir est utile au témoignage qu’ils veulent donner. J’ai donc aussi la liberté de penser et de dire pourquoi je n’irai pas avec eux. Je suis sûr qu’ils respecteront, eux aussi, le choix que je pose en conscience. Nous n’avons pas de divergence sur le fond. Nos divergences portent sur la méthode.

Je pense qu’il n’est pas nécessaire de rappeler notre position : celle-ci est claire, constante et bien connue. Il faut s’interroger sur la manière dont elle est reçue. Or il faut bien observer ceci : dans l’opinion publique, les manifestations contre le « mariage pour tous » sont perçues comme étroitement liées à celles relatives à l’avortement. On ne peut pas les séparer, car notre attitude vis-à-vis du mariage retentit inévitablement sur la manière dont nous sommes compris par les personnes concernées par une interruption de grossesse. Or, dans cette situation, il ne s’agit pas pour nous de prendre une initiative pour secourir un enfant abandonné. Il s’agit au contraire d’espérer qu’une femme, en détresse devant la révélation d’une vie qui s’annonce en elle, osera traverser la rue pour venir sonner à la porte de la maison paroissiale, du presbytère, de l’aumônerie du lycée ou d’une association d’accueil.

À plusieurs reprises, et comme beaucoup d’autres prêtres, il m’est arrivé d’accueillir dans mon bureau une femme qui venait me confier sa détresse. Après avoir pleuré, demandé conseil, essayé de prier, cette femme a finalement décidé de garder l’enfant qu’elle portait. Et cet enfant fait aujourd’hui la joie et la fierté de sa mère. Pour ma part, je n’ai rien fait d’autre que d’essayer d’écouter ces femmes et de les inviter à réfléchir. Pour le reste, c’est le secret de leur décision intime. Malheureusement, il est aussi arrivé que des femmes, après cet entretien, aient suivi les conseils de leur entourage immédiat qui les incitait à ne pas garder l’enfant annoncé. Mais qui serions-nous pour aller les dénoncer ?

Mais comment faire pour venir au secours des enfants dont la mère, placée devant la révélation qu’ils sont là, n’éprouve d’abord qu’angoisse et tristesse ? Ce que me semblent oublier les gens qui manifestent avec trop de force, c’est tout simplement ceci : pour sauver un enfant encore blotti dans le secret du sein maternel, il n’y a qu’un seul chemin, celui qui consiste à parler à la conscience de sa mère. Tout le reste serait violence… Or, pour pouvoir parler à la conscience de cette femme, encore faut-il qu’elle ose venir nous parler la première ou que ses amis intimes, à qui elle a confié son secret, l’incitent à venir nous parler. Et l’expérience pastorale me montre que cette confiance est fragile, et bien difficile à gagner…

J’ajoute que cet engagement pour la vie doit commencer bien avant ces situations de détresse. C’est ici que nous sommes attendus. Nous pouvons à juste titre dénoncer les carences de certains représentants de l’État, mais il me semble que nous avons surtout besoin de retrouver notre crédibilité au sein de la société civile. La vraie question, sans doute la plus difficile, est de susciter la libre adhésion des jeunes qui ont à construire leur personnalité. Là, nous pouvons tous nous retrouver. Que l’Esprit nous soit en aide !

Mgr Hippolyte Simon, archevêque de Clermont

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