Pour quoi faire ?
En 1214 naissait le futur roi de France Louis IX, qui allait devenir Saint Louis. Si le lieu et même la date exacte de cette naissance reste discutés des historiens, celui de son baptême ne fait pas de doute, puisque Saint Louis lui-même répétait que c’est à Poissy qu’il avait reçu « le plus haut honneur qui fut jamais ». La collégiale de Poissy abrite encore aujourd’hui les vestiges des fonts baptismaux de l’époque. Il semble donc assez naturel que le diocèse de Versailles, dont Saint Louis est le patron principal, ait choisi de faire de cette année une année jubilaire. Mais au fond, pourquoi ? Y-a-t’il à cette célébration un autre enjeu que d’honorer la passion bien française des commémorations ? 1214–2014 : c’était il y a 800 ans, autant dire une éternité ! Louis IX, c’est l’archétype du roi Très chrétien ; Qu’a-t-il encore à dire aux républicains Très laïcs que nous sommes ? Louis IX est la plus haute figure de l’époque des croisades ; Est-il encore un exemple pour les chrétiens de la génération « cruci-wifi » ?
Répondre à ces questions est en soi l’un des enjeux de l’année Saint Louis. L’imaginaire chrétien a en effet figé le Saint Roi dans quelques images d’Epinal : Saint Louis sous son chêne rendant la justice à Vincennes ; Saint Louis déposant la Couronne d’épines à la Sainte-Chapelle à Paris ; Saint Louis mourant de la peste sous les remparts de Tunis ; etc… Mieux connaître la réalité du personnage est un préalable nécessaire : c’est en le sortant de son statut de figure d’enluminures que l’on peut rendre Saint Louis à nouveau éclairant pour notre temps.
Le temps de Saint Louis n’est pas si étranger que cela au nôtre. Le XIII° siècle est marqué par de profonds changements culturels et sociaux, dus notamment à l’émergence de la vie urbaine qui bouscule l’organisation féodale. Des questions qui nous semblent spécifiques à notre époque se posent déjà à leur manière : questions aussi diverses que les rapports entre chrétiens et musulmans, la globalisation des échanges, la réforme de l’administration, la réglementation de la finance, ou encore la place des femmes dans la société. La vie de l’Eglise n’est pas en reste : Louis IX accède au trône en 1226, l’année même ou meurt François d’Assise. Un vent de réforme souffle sur l’Eglise, porté par ces nouveaux ordres mendiants qui prêchent la pauvreté et la fraternité, et marqueront profondément la spiritualité personnelle du roi.
Dans ce monde en mutation, Saint Louis n’a pas choisi sa place. Roi par naissance, il a assumé la plénitude de ses responsabilités. Contemplatif par tempérament, Saint Louis aurait-il pu être attiré, par exemple, par la vie monastique dans sa chère abbaye de Royaumont ? Telle n’était pas sa place. C’est comme monarque, comme époux et comme père que Louis s’est efforcé de vivre la Foi, l’Espérance et la Charité, et de mettre en œuvre les Béatitudes. Il a su donner à certaines dans sa vie un relief particulier : « Heureux les artisans de paix », « Heureux ceux qui sont assoiffés de justice », « Heureux les miséricordieux »,…
Cette année jubilaire est donc l’occasion de nouer un dialogue très actuel avec Saint Louis : il nous exhorte à prendre au sérieux notre baptême, à ne pas céder à la tentation de fuir le monde, tout compliqué qu’il puisse nous paraître. Il nous rappelle que la sainteté ne consiste pas à s’évader, même vers le ciel, mais à fleurir là où Dieu nous a plantés.
P. Bruno VALENTIN+